Je vous vois venir bande de petits pélicans, vous avez cliqué sur cet article dans l’espoir de perdre les 5 prochaines minutes à ricaner sur le compte de notre OVNI régional, exutoire favori des critiques de comptoir (dont je fais partie) dont la virulence est proportionnelle au succès populaire de notre Objet. Non pas que les critiques soient infondées loin de là mais elles flirtent parfois avec la mauvaise foi voire la cruauté.
Pour ceux qui comme moi ont grandi dans les années 90, vous avez connu l’âge d’or de la revendication pagnolesque ! L’OM était sur le toit de l’Europe, Robert Guédiguian cartonnait à Cannes avec Marius et Jeannette, Luc Besson choisissait Marseille pour produire une comédie d’action devenue culte, Jean-Claude Izzo publiait sa trilogie Marseillaise et IAM sortait le plus grand album de l’histoire du rap français raflant même la victoire de la musique de l’album de l’année, là où leurs homologues parisiens seront battus l’année suivante par… Manau ! ( ils les ont pas respectés 😂 ). À l’étranger, à Madrid, à Londres, à New York et même à Paris, nous bombions le torse pour faire enfler l’étoile empreinte sur notre cœur. On pouvait lâcher un couplet des « Bad boys » comme ça dans la rue, au bar, en soirée juste pour représenter Mars (surface rouge la population panique). Les 6 (encore à l’époque) rappeurs tantôt pharaons, cow-boys ou samouraïs laissaient dans leur sillage une nuée de petits frères dont nous étions fiers d’accrocher le blason au drapeau : FF, Psy4…
Vingt ans plus tard, le Qatar règne sur un championnat de France bien triste, Taxi a subi 4 suites et le rap marseillais est sur-représenté par Jul. Alors soyons clairs, le but de cet article n’est pas de déterminer si le rap c’était mieux avant, si l’Autotune c’est bien ou mal ou si c’est juste-un-outil-après-ça-dépend-comment-on-s’en-sert, si l’on a le droit de dire « c’est nul » ou si il faut dire « J’aime pas » à la place, mais bien comme l’indique le titre de savoir si l’on peut en tant que marseillais ajouter Jul aux armoiries de la ville à côté des calanques, de l’OM, du Vieux Port, IAM, l’aïoli, Marcel Pagnol, la bouillabaisse, les chichis, les boules… En clair : faut-il revendiquer Jul ?
Je me suis donc plongé trop enthousiaste dans la très prolifique discographie de Jul en enchaînant les clips sur sa chaîne Youtube « DORETDEPLATINE». A noter qu’en visionnage prolongé cette pratique peut provoquer un état de semi-conscience à force de fixer un ensemble survêt-casquette-sacoche agitant les bras. D’aucuns disent que si tu tiens assez longtemps ça commence à sentir la beuh et le Brut à travers l’écran. Bon, assez raillé et prenons les points délicats un par un. Restons sur le style. Certes Karl Lagerfeld pleurerait du sang, mais à vrai dire cela m’inspire plutôt de la sympathie. Dans un monde où le rap a totalement adopté les codes du capitalisme, où ses acteurs prônent pour certains le deal de shit sur la Tour Eiffel comme parangon, Jul revendique une simplicité assez déconcertante. Il arbore fièrement des t-shirts à l’effigie de son propre label, surplombés par des vestes Décathlon. A tel point que sa veste fétiche a été surnommée par les minots qui l’adulent la « Kalenjul » et qu’elle bat des records de vente au Décath’ des Terrasses du port.
Je ne dis pas non plus qu’il fait jamais le kéké avec des grosses bagnoles, mais il sait garder un côté cheap touchant, celui du gamin rêveur qui joue avec ses majorettes. Dont je veux bien m’auto persuader qu’il est au moins en partie intentionnel. Cet aspect se retrouve aussi dans les effets spéciaux de ses clips. Loin de la surenchère des rappeurs qui, ayant bien intégré que le clip est avant tout un objet promotionnel, tendent vers le court-métrage à gros budget, Jul peut balancer des aliens tout pétés qui pourraient sortir d’un concept de pub pour sonneries de téléphone qui a dégénéré et une D.A. dans le plus pur style de la télé des années 90 tendance club Dorothée.
C’est là que réside tout le génie djoulien : l’érection du mauvais goût comme totem et sa revendication désinvolte. La réhabilitation de la chaussette-claquette et son ostentation. A chaque fois qu’il sort un titre, un directeur artistique parisien branchouille meurt dans le monde. Tout ce qu’il ne faut pas faire, Jul le fait et le vend. Bien.
Jul : « Les gens m’appellent l’OVNI, je vais faire une chanson Dance avec comme refrain « On m’appelle l’OVNI » »
Augustin (Directeur artistique chez Bar-à-Céréales Records) : « Hein ? »
Jul : « Je vais faire une reprise de Barbie Girl. »
Augustin : « What ? »
Jul : « Nouveau son la team ça va s’appeler « Dans la voiture à Batman ». Pour le clip je vais me teindre la mèche en vert »
Augustin : « Que… »
Jul : « Nouvelle rime riche : « Je suis rentré chez moi en fumette elle m’a fait un petit plat / Je suis sorti dans la piscine je me suis fait un petit plat » »
Augustin : « … »
Jul : « T’ES MON BIJOUUUUUUUUU / JE SUIS FOU DE TOI JE VEUX MON BISOUUUUUUU »
Augustin nous a quittés. Que son âme repose en paix à tout jamais.
(La dernière fait partie d’une étrange série dans la discographie du chanteur : les déclarations d’amour low cost façon Cyrano de Plan-de-Campagne)
Seulement voilà : qui décide du mauvais et du bon goût ? Jul a su s’affranchir totalement du qu’en dira-t-on et imposer ses codes, ceux d’un minot de quartier marseillais, à la nouvelle industrie du disque. Quitte à laisser des fautes de français dans ses paroles et des fautes d’orthographe dans les synthés et sous-titres de ses clips. Pur produit de son époque, ovniprésent sur internet, il n’aurait probablement jamais franchi la barrière d’un D.A. de maison de disque avant l’avènement des réseaux sociaux. Il représente le « ter-ter » et continue de tourner régulièrement des clips dans lesquels figurent en moulon les minots du quartier. Ce gamin gavé à la télé des années 90 se montre parfois même touchant : en 2017, la presse relatait qu’il avait passé une nuit en garde à vue après avoir été arrêté pour excès de vitesse, défoncé et avec un passager calibré. A propos de cela il s’exprimera sur les réseaux avec ce tweet devenu culte :
La shitstorm qui a suivi dans les commentaires et sur les réseaux sociaux fut d’une violence incroyable. Jul est devenu en un tweet le symbole de la jeunesse décadente, récoltant au passage des milliers de blagues comportant la mention « Bescherelle ». L’orthographe comme marqueur social. Aucun journaliste, aucun bien-pensant pour relever qu’un mec avec un aussi faible niveau d’orthographe avait réussi dans un domaine aussi difficile, à force de travail et d’obstination. Aucun pour relever le fond du message. Jul s’inquiète de l’image qu’il donne aux enfants et aux parents. Et s’en bat les couilles de BFMTV.
Interrogé sur ce tweet quelques jours après, il répondra simplement : « Si j’écris sans fautes, ils (La Team Jul) sauront que c’est pas moi ». Authentique. Combien de rappeurs dans son cas auraient présenté des excuses pour un tel comportement ? Et combien auraient laché un communiqué rédigé directement dans les bureaux de leur grande maison de disque ? Jul privilégie le rapport direct avec ses fans via les réseaux sociaux et se fait rare dans les médias, à raison, pour éviter les railleries des journalistes d’une part et le déferlement de haine dans les commentaires d’autre part lorsqu’il apparaît réservé et un peu gauche.
Le malentendu vient du fait que l’on veuille absolument classer Jul comme rappeur et cela produit une dissonance pour ceux qui ont grandi avec le rap des années 90. Le rap a changé. C’est devenu une musique populaire que tout le monde, même Jul, s’approprie. Et Jul est un chanteur populaire. Un chanteur populaire capable de composer un riff qui tournera dans la tête des clubbers plusieurs week-ends d’affilée. Un chanteur populaire capable de lancer une comptine à la gloire de la star olympienne du moment, qui sera reprise par tout un stade. Comptine qui m’a soufflé l’idée de rédiger cet article.
Les « Haters », ceux qui regrettent la musique d’avant ont aussi oublié qu’à l’époque IAM, NTM, La Fonky Family se battaient au hit parade avec 2Be3, Poetic Lover, Ophélie Winter, Aqua… qui comme Jul étaient écoutés par les jeunes, voire très jeunes. Ils me rétorqueront alors que ceux que je viens de citer ne font eux pas de référence au shit et à la prison tous les 2 morceaux et je leur répondrai qu’ils ont raison mais que la société a changé et que Jul est en fait un hybride entre la culture « club-dance-90 » et la culture « ter-ter » dominante chez les jeunes aujourd’hui qui finalement reflète assez bien les mélanges et paradoxes de notre société actuelle mais que c’est pas le débat alors merde à la fin cet article sur Jul est déjà beaucoup trop long !
La pire réponse à la question posée au début de cet article serait la réponse de normand. Pas concevable à Marseille. Jean-Claude Izzo, écrivain et poète marseillais écrivait « Ici, il faut prendre parti. Se passionner. Être pour, Être contre. Être, violemment. Alors, seulement ce qui est à voir se donne à voir. »
Alors je tranche et je dis qu’il faut revendiquer Jul ! Pas écouter sa musique ni arrêter de se moquer en passant au comptoir. Que vous le vouliez ou non il a fait sa place parmi les personnages de la culture populaire marseillaise avec ses défauts et ses particularités. Alors autant l’assumer et même le revendiquer !
Je vous sens perplexes tout à coup. Que faire face à la condescendance du bobo parisien qui vous toise du haut de sa CULTURE subventionnée par la DRAC : « Marseille ? C’est pas mal côté culture vous avez Jul ! ». « LOL ».
Pas de panique : rassemblez vos mains, arborez fièrement le signe de JUL et dites lui que vous avez fait votre choix il y a longtemps entre Jul et ça :
Pour finir et anticiper le potentiel grand nawak des réseaux sociaux je vais répondre ici à ce commentaire :
« 19 albums en 4 ans et le mec a toujours pas ouvert un Bescherelle. Lolilol »
par
« Ce commentaire fait-il de toi un académicien ? »
Du temps gagné.