Marseille, c’est un peu la ville sur laquelle tout le monde a quelque chose à dire. Il y a ceux qui adorent, et ceux qui détestent. Ceux qui n’y ont jamais posé le pied et qui te disent : « Marseille ? Mais c’est super dangereux là-bas, t’es folle ? Les mecs se promènent avec des lance-roquettes et tuent des bébés dans la rue ! ». Ceux qui y sont nés et qui t’en parlent avec des étoiles dans les yeux «Putain mais Marseille ! C’est la plus belle ville du monde, Marseille !». Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que Marseille ne laisse pas indifférent.

Moi, j’y habite depuis pas si longtemps. Je suis ce que tu pourrais appeler (toi, véritable marseillais) une « estrangère ». Et c’est en cette qualité que je débute ce journal, pour te parler de cette ville que tu connais si bien, à travers mes yeux tout neufs.

Et à mes yeux, c’est facile, le cœur de Marseille c’est le Vieux-Port. C’est lui, en tout cas, qui a en premier dérobé mon cœur. « Pas très original, estrangère ! » me diras-tu. Et pourtant… Pourtant, le Vieux-Port m’évoque mille légendes et déborde de richesses. Pour moi qui viens d’ailleurs, du milieu des terres là où soleil et mer sont aussi rares que les trésors, il est fascinant de beauté et de mystères. C’est par lui, d’abord, que j’ai découvert la belle citée phocéenne, en imagination. Marcel Pagnol m’a permis de l’apprivoiser, coin enchanteur aux accents de Provence, imprégné d’images de pêcheurs, de jeux de cartes, de pastis et de grandes gueules au grand cœur. Un peu cliché, je sais. Je m’en suis longtemps fait toute une idée, qui ne ressemble pas tellement à ce que j’y ai découvert, mais qui n’a jamais altéré la magie que j’y ai trouvée. Car voilà pour moi, ce qu’est le Vieux-Port…

Le Vieux-Port, c’est d’abord le plaisir d’observer la mer et ses bateaux, au cœur d’une ville aux vibrations fourmillantes. Le calme de l’eau, la douceur du vent qui emporte avec lui ses effluves marins, et la caresse du soleil quand il fait beau. Au moindre signe de fatigue, j’aime à venir m’y promener, pour me nourrir de son âme si vivante. En premier, pour son horizon. Celui qui reste toujours un peu le même, mais qui change selon le chemin qu’on décide d’emprunter. Il y a cette vue imprenable sur la Bonne-Mère, qui semble veiller du haut de sa colline, entourée d’arbres et de bâtiments qui s’acheminent jusqu’au bord des quais. Il y a aussi l’hôtel de ville, modeste édifice qui a résisté au temps et aux guerres. L’église St Ferréol, qui siège là sans prétention. Et puis, bien sûr, toutes ces enseignes très modernes qui proposent glaces, alimentation, restauration et boissons. Je suis un peu triste d’avoir perdu mon petit coin de terrasse préféré, celui de Chez Roger, mais j’ai vite établi mon nouvel antre ensoleillé un peu plus loin, à l’Escale Marine. Je me plais à y imaginer tous les chemins que je pourrais parcourir et sur lesquels s’ouvre le Vieux-Port.

Au loin, le départ de la corniche promet une vue féérique sur l’immensité bleue. De l’autre côté, le Fort St-Jean domine, bordé par ses petits remparts sur lesquels je vais parfois méditer bronzer. En son cœur même, tant de possibilités que je ne saurais les énumérer, bien que mon âme d’estrangère penche pour la place Daviel avec son Hôtel-Dieu et que mon esprit plus épicurien lui préfère son opposé, direction cours d’Estienne D’orves. Chaque pas au sein du Vieux-Port ouvre sur de nouvelles perspectives, c’est là que se trouve une part de sa magie. Cette habilité à faire voir quelque chose de différent selon quel bout on choisit d’arpenter.

Et puis, lorsqu’on décide de s’en imprégner, il suffit de se poser, de prendre le temps d’en observer la vie grouillante. Car si l’architecture qui l’entoure semble reposer là tel un ancêtre bienveillant, le Vieux-Port ne dort jamais. J’aime observer les nombreux passants qui le traversent, promeneur amoureux, touriste en quête de souvenirs ou encore vieil habitué. Le Vieux-Port a toujours le même visage, mais change sans cesse d’expression. Si bien que chaque visite offre son propre spectacle. Jeunes danseurs viennent y trouver un public à qui transmettre leur énergie, musiciens du monde transportent par leurs mélodies pittoresques, artistes itinérants présentent leurs numéros, sans évoquer les différentes animations qui y prennent sans cesse vie. Il y aussi ses fameux marchés, sa grande roue dans laquelle j’ai si peur de monter (l’estrangère a le vertige, oui), ses petits trains pleins de curieux, ses navettes qui emmènent au bout du monde (du moins, jusqu’aux îles du Frioul, ce qui est déjà pas mal), son Ferry Boat qui propose aux feignants le plaisir de naviguer… Toute cette vie créatrice d’inspiration, pour la rêveuse que je suis.

J’adore marcher tête relevée sous le miroir ombrière, me guidant à la seule vue de mon reflet comme dans un jeu vidéo (essaie, tu verras, ce n’est pas si facile). Observer les vagues et me demander quel monde enfoui elles peuvent cacher. Imaginer prendre le large à bord du « Don du Vent ». Parler avec Medhi, cet ancien pêcheur qui aime partager ses histoires. M’interroger sur la vie de tel ou tel passant. Humer l’effluve des algues, un peu mélangé à celui du pipi (il faut l’avouer). Sentir le vent dans mes cheveux et me croire dans une pub l’Oréal. Ecouter les mouettes me décrire ce qu’elles voient de là-haut. « C’est qu’elle est un peu secouée, cette estrangère que tu nous as ramenée, dis-donc, site du Tarpin Bien ! ». Eh marseillais, peut-être que tu as raison. Mais c’est ça, mon Vieux-Port à moi.