Journal d’une estrangère à Marseille – La Cité Radieuse

DécouverteHistoire Journal d’une estrangère à Marseille – La Cité Radieuse

« Et si je bâtissais une ville verticale ? s’enjoue un jour Le Corbusier.
Mais quel fada celui là ! scande la foule. »
Les faits ne se déroulent peut-être pas exactement de la sorte, je l’admets. En réalité, l’État fait appel au célèbre architecte afin qu’il réponde au manque de logements qui sévit dans Marseille après la Seconde Guerre Mondiale. C’est ainsi que Le Corbusier conceptualise cet habitat social, censé accueillir le plus grand nombre.
Aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la Cité Radieuse n’a pas toujours fait l’unanimité, héritant même d’un surnom bien de chez nous : « la maison du fada ». Et il faut bien avouer que ce projet est un peu fou.

Au cœur de Marseille, dans le 8ème arrondissement, se dresse sur ses pilotis un immense bloc de béton. La façade, au premier abord, me paraît anodine, si ce n’est bien triste. En m’approchant, je découvre ses couleurs qui me rappellent celles des piscines à boules dans lesquelles se jettent les minots. Les murs des balcons sont peint, pour tenter de rendre le tout plus joyeux. Ce n’est donc « que ça », la Cité Radieuse…
Je me remémore soudain le conseil d’un grand sage : « Ne vous laissez pas rebuter par son apparente banalité : comme tant d’autres choses ce n’est pas ce qu’il y a à l’extérieur, mais ce qu’il y a à l’intérieur qui compte ! ».

Le bâtiment est pensé tel une ville au sein de la ville. Je suis fascinée par les explications que m’apporte l’une des habitantes. Imaginez un village gaulois (qui résiste encore et toujours à l’envahisseur). Afin que le chef puisse déclamer ses discours éclairés, il faut tout d’abord un lieu d’échange. Un endroit que chaque habitant est amené à traverser, un peu comme une place de village. Dans la Maison du Fada, c’est le rôle que tient l’unique hall d’entrée (pour un bâtiment qui comprend 294 habitations). Là où les architectes d’aujourd’hui s’échinent à tout compartimenter, Le Corbusier, lui, veut rassembler. C’est sa première singularité.

Au départ de cette place s’étirent les « rues », reliées par l’unique cage d’escalier. Une « rue » par étage, qui permet d’arpenter l’immeuble et de s’étonner devant ses commerces, son école, sa crèche, sa bibliothèque, son gymnase, sa cour et même sa salle de cinéma. Je me crois dans un paquebot. Combien de temps la Cité Radieuse pourrait-elle s’auto suffire, lancée en pleine mer ? J’élabore presque un scénario.

Côté habitations, Le Corbusier se montre à la fois judicieux et créatif. Il souhaite donner le maximum d’espace aux nombreuses familles que l’immeuble accueille et invente pour cela un système de mesure lié à la morphologie humaine, qu’il baptise « Modulor ». Il estime par exemple qu’une hauteur de plafond ne dépassant pas celle d’un homme qui lève les bras au ciel est suffisante pour ne pas se sentir à l’étroit. L’espace de chaque habitation est ainsi optimisé, sans jamais oublier le bien-être et le confort de ses occupants. Bien que tout soit fonctionnel, Le Corbusier ne les prend pas pour des billes. Chaque appartement est un duplex dit montant ou descendant. Comme un pont ou un tunnel, il passe au-dessus ou au-dessous de la « rue centrale », ce qui en fait un traversant, grand et lumineux.


Difficile d’en imaginer l’intérieur avant que ma guide (propriétaire des lieux depuis sa création) ne m’invite à partager un thé avec elle. La plupart des éléments sont d’origine et me rappellent une fois de plus l’intérieur d’un bateau tout en parquet et en couleurs, avec ses pièces cachées, ses portes coulissantes et ses ventilations mécaniques. Les lieux sont étroits mais tout s’articule dans la longueur. Le Corbusier sait jouer des perspectives. Je me sens ici comme dans un cocon qui laisse place à la liberté.


Chaque détail est réfléchi, calculé, comme cette cuisine ultra fonctionnelle et sa trappe reliée à l’extérieur. On pense à une boîte aux lettres un peu trop grande. Elle sert pourtant de point de livraison pour les commerçants à qui l’on commande du lait, du pain, ou toutes autres victuailles. Malin.

Aujourd’hui, la plupart de ces commerces ont disparu, laissant place à des bureaux, des cabinets d’architectes, une boutique de déco, une librairie, un hôtel-restaurant. Ce dernier s’est réapproprié les chambres d’amis initialement centralisées au 3ème étage, pour en faire un lieu d’évasion original.
Au départ, Le Corbusier les a rassemblé à l’extérieur des habitations car, à quoi bon perdre de la place en dotant un appartement d’une chambre d’amis dont on ne se sert qu’à l’occasion ? Une autre excentricité astucieuse. C’est qu’il finit par bien me plaire, ce drôle de fada !

Le hall est toujours cette place de village sur laquelle on peut s’attarder. Les « rues » des 3ème et 4ème étages sont libres d’accès ainsi que le toit, lieu de retrouvailles qui offre une vue étonnante sur la ville de Marseille. Chacun peut s’y rendre pour flâner, bronzer au bord de la piscine, pratiquer son activité sportive ou encore assister aux nombreuses soirées qui y sont organisées. Pour y rêver, aussi.

Il est saisissant, lorsqu’on pénètre cet immeuble si particulier, d’en entrevoir la philosophie élaborée autour des notions de communauté, d’unité, de partage et d’échange. Le rêve utopique d’un architecte philanthrope dont le credo trouve une résonance branchée à l’époque des bobos puis des hipsters.
Loin des logements sociaux rejetés d’hier, le lieu est à présent très prisé. L’immeuble perd une part d’auto suffisance au profit du tourisme. L’esprit communautaire, pourtant, demeure. J’en veux pour preuve l’accueil chaleureux m’étant fait, à moi, une estrangère.
Alors quand bien même elle ne ferait toujours pas l’unanimité, notre ville verticale marseillaise, la Maison du Fada de l’un n’est-elle pas toujours la Cité Radieuse de l’autre ?

 

Crédits photos : Raphaël & Laure Prignet

Auteur de l'article :
Laure Prignet
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