Pour une estrangère qui arrive en terre marseillaise, difficile de passer à côté du phénomène foot. Ces temps-ci, il y a l’Euro, bien sûr, mais d’ordinaire à Marseille, le foot c’est l’OM. Et l’OM, ça se passe au Stade Vélodrome.
Ce stade, je dois confesser n’avoir jamais pensé y mettre les pieds. C’est que je n’ai pas tellement la passion du ballon rond. Heureusement, il y a dans mon entourage des marseillais qui n’ont pas ce défaut et un collègue fort généreux s’est même proposé de m’y inviter pour que je puisse en vivre une fois l’expérience.
Me voici donc cheminant au cœur de la nuit provençale lorsque l’imposant Stade Vélodrome fait son apparition. J’ai beau être passée devant maintes fois, je n’ai jamais jusqu’alors été frappée par sa majesté. Gigantesque édifice d’une blancheur flamboyante, il domine l’obscurité. C’est timidement que je m’en approche, suivant la file grouillante des supporters, jusqu’à ce qu’il me semble ne plus le voir qu’à travers mes oreilles. Un incroyable concert de chants et de cris s’élève de ses entrailles, jusqu’à m’en faire vibrer le cœur. L’effet est tel que je n’en ai jusqu’à ce jour toujours pas oublié l’écho.
La structure qui m’entoure est titanesque. Tout en grimpant ses marches, je ressens pour la première fois l’effervescence de ce lieu animé par la passion. Ce n’est qu’une fois sur ses sièges, toutefois, que je peux réellement en saisir toute l’ampleur. Assise là, au sein de cette bouche béante dont les 67 000 dents entonnent leurs chants, je me sens bien minuscule. Je n’étais pas née en 1937, lorsqu’il a été baptisé. Je l’ai bien croisé avant qu’on l’appelle Nouveau, mais ce soir là, je réalise que ce vélodrome, je ne l’ai jamais vraiment regardé. Et face au match qui débute, c’est toute sa légende qui vient soudain me frapper.
L’ami qui m’accompagne a à peine le temps de m’expliquer les enjeux de cette 8ème journée de Ligue 1, que déjà l’OM marque son premier but. Le public crie, se lève et explose en une volée d’ivresse collective – sauf, peut-être, pour les supporters de l’équipe adverse. La partition jouée est d’une telle intensité qu’elle parait surnaturelle. Les gens sautent, hurlent, se serrent dans les bras, commentent l’action à peine passée. L’amour des marseillais pour leur olympique est si grand qu’il parvient sans effort à m’emporter, là où s’entrecroisent tangible et mystique. Il y a bien ce speaker qui m’ennuie, à huer l’AS Saint-Etienne (venant ainsi bousculer la naïveté de l’estrangère pour qui le foot symbolise esprit d’équipe et pas compétitivité) et puis, finalement, je finis par siffler en chœur pour mieux m’élever de joie lorsque le second but est marqué. Face à moi, le virage nord éclate en chants et en couleurs, arborant une immense banderole scintillante qui porte les initiales vénérées : O.M. La frénésie est stupéfiante, éloquente. Je suis témoin ce soir-là d’une chose que, dans mon ignorance, je n’avais jamais pu que concevoir. Virage nord et virage sud scandent en canon le fameux « Aux armes », chant des supporters qui envahit le stade dans une harmonie euphorisante.
Autour de moi, les gens échangent, sourient, respirent au gré du ballon. Intrépide, Bielsa mène son équipe avec le petit grain de folie qui le caractérise. Son approche offensive ne laisse aucun répit aux stéphanois, qui se défendent avec ardeur et la taille du terrain s’impose à moi tandis que je vois les joueurs tenter de défendre leurs couleurs. Le match passionne, tient en haleine et si les phocéens s’avèrent moins tranchants lors de la seconde mi-temps, le rythme ne se relâche pas.
Lorsque la victoire de Marseille est prononcée, le stade détone à l’instar d’un feu d’artifice. Le final est presque homérique. Car voilà bien un don des passionnés : mettre tant de sincérité dans leur adoration, qu’ils finissent par vous en transmettre un peu. A cet égard, je crois que Marseille et moi nous nous sommes bien trouvés.
C’est à regret que je quitte les rangs du Stade Vélodrome, alors que l’allégresse reste avec moi. L’étincelle qui est née ce 28 septembre 2014 se ravivera chaque fois que je le croiserai, sourire bienveillant dans le paysage qui vient me remémorer l’émotion extraordinaire que j’y ai découvert. Il faut croire que l’estrangère ne l’est plus tout à fait.