Aujourd’hui nous allons revenir sur cinq affaires criminelles qui ont marqué notre cité phocéenne. Chacune de ces affaires a à sa manière fait évoluer la police ou la justice et contribué à son détriment et pour le pire à mettre la ville de Marseille au premier plan des actualités médiatiques. Elles ont aussi contribué à la légende de certains policiers, magistrats et avocats marseillais et ont parfois été adaptées au cinéma. Commençons avec celle qui a fait connaitre Marseille jusqu’aux États-Unis d’Amérique.
La French Connection
À partir des années 1930, Un trafic de stupéfiant international se met en place entre le Moyen-Orient ou l’Asie, Marseille et les États-Unis. La morphine base, obtenue à partir du pavot est importée de Turquie, de Syrie ou d’Indochine à Marseille où elle est transformée en héroïne dans des laboratoires. Les chimistes, souvent issus du milieu corso-marseillais étaient réputés pour fabriquer une héroïne pure à 98%. Elle était ensuite acheminée par différents moyens, aériens ou maritimes vers les États-Unis où elle était consommée. C’est dans les années 1960 que la French Connection connaît son apogée. Le trafic de stupéfiants étant peu sanctionné par la justice et la police ayant peu de moyens pour lutter contre, il est très rentable pour les truands. D’autant que la toxicomanie étant peu répandue en France, les problèmes de santé publique liés à la drogue sont peu visibles et donc peu considérés.
En 1969, le président américain Richard Nixon va mettre la pression à la France pour enrayer le trafic et imposer une coopération entre la police Française et américaine. La France va aussi considérablement augmenter les moyens dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et changer la loi pour augmenter les peines encourues pour ces méfaits jusqu’à 20 ans de prison.
Ces efforts vont porter leurs fruits et plusieurs labos vont être démantelés, plusieurs trafiquants et chimistes arrêtés. Le coup d’éclat le plus emblématique sera réalisé le 2 mars 1972 par les douanes marseillaises qui vont saisir 425kg d’héroïne pure dans le Caprice des temps, un bateau qui vient de prendre la mer en direction de Miami.
À partir de là, les réseaux vont être démantelés et on estime fin de la French Connection au mois d’aôut 1974, après une saisie d’héroïne de 76kg à Bordeaux. Bien qu’officiellement terminée, la filière française connaîtra quelques résurgences dans les années qui suivent.
Le réalisateur américain William Friedkin (L’Exorciste) en a fait un film à succès.
L’affaire Christian Ranucci
C’est l’une des affaires criminelles françaises les plus célèbres, celle qui sera nommée ensuite l’affaire du pull-over rouge d’après le titre du livre de Gilles Perrault (Le pull-over rouge).
Le point de départ de l’affaire est l’enlèvement, le 3 juin 1974 de la petite Marie-Dolores Rambla devant son domicile. Son corps est découvert à Gréasque, à proximité d’une champignonnière où Christian Ranucci a été vu la veille et dans laquelle on trouve un pull-over rouge. Ranucci, arrêté, avoue puis se rétracte. Ses aveux ,d’après lui, lui auraient été extorqués par le commissaire Alessandra. Le juge Pierre Michel désigné pour clôturer l’instruction transmet le dossier au procureur général. Le procès s’ouvre le 9 mars 1976 devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence et est très médiatisé. Déclaré coupable, il est condamné à la peine capitale et est exécuté le 28 juillet par la guillotine aux Baumettes.
Deux ans plus tard paraît Le Pull-over rouge de Gilles Perrault qui remet en cause la culpabilité de Christian Ranucci et l’enquête de la police et qui soutient le combat contre la peine de mort. L’ouvrage eut un grand succès à l’époque, adapté au cinéma. Mais la contre-enquête menée par Gilles Perrault a depuis largement été remise en cause dans d’autres ouvrages parus dans les années 2000 ayant repris l’affaire.
L’affaire Ranucci continue de faire débat sur les peines réservées au meurtriers d’enfants, la possibilité d’erreur judiciaire et la peine de mort. Cette affaire est tellement emblématique que beaucoup pensent – à tort – que Christian Ranucci est le dernier condamné à la peine capitale exécuté en France.
L’affaire Hamida Djandoubi
C’est une affaire qui lors de son instruction n’avait pas fait beaucoup de bruit mais qui va devenir célèbre parce que Djandoubi a été, véritablement, le dernier condamné à mort exécuté en France.
En 1971, Djandoubi, devenu unijambiste à la suite d’un accident de travail fait la connaissance d’Elisabeth Bousquet – qui deviendra sa compagne – à l’hôpital. Deux ans plus tard, elle portera plainte pour proxénétisme, accusant Djandoubi de l’avoir contrainte à avoir des relations sexuelles tarifées avec huit autres hommes. Condamné à plusieurs mois de prison, il n’arrête pas son activité de proxénète pour autant et impose la prostitution à des adolescentes. Il retrouve Elisabeth, lui impose une séance de torture et de viol en présence de ces adolescentes. Il la transporte à une quarantaine de kilomètres de Marseille et l’achève.
L’une des adolescentes qu’il séquestrait va s’enfuir et porter plainte au commissariat. Djandoubi est arrêté et reconnaît sans problème les faits qui lui sont reprochés en espérant obtenir la clémence mais ne pourra échapper à la condamnation à mort en 1977 pour « assassinat après tortures et barbarie, viol et violences avec préméditation ». C’est alors que l’affaire devient très médiatisée. Le pourvoi en cassation est rejeté et la grâce présidentielle de Valéry Giscard D’Estaing refusée (comme pour Christian Ranucci). Il est exécuté par guillotine aux Baumettes le 10 septembre 1977 à 4h40 à presque 28 ans.
Après lui, plus d’une dizaine de criminels seront condamnés à mort en France mais tous seront épargnés par une sentence revue en cassation ou une grâce présidentielle. Quatre ans plus tard, la peine de mort est abolie faisant de Djandoubi le dernier condamné à mort exécuté en France et en Europe occidentale. L’absence de doute sur les faits qui lui sont reprochés est probablement à l’origine du fait que l’histoire a plutôt retenu l’affaire Ranucci comme symbole de la controverse autour de la peine de mort.
L’assassinat du Juge Michel
Le juge Michel était connu pour sa participation à l’affaire Ranucci et à de nombreuses affaires liées au banditisme mais surtout pour sa lutte acharnée contre le trafic de drogue. Il avait notamment participé au démantèlement de nombreux laboratoires de transformation d’héroïne à la suite de la French Connection. Il était particulièrement peu apprécié des trafiquants car il n’hésitait pas à utiliser des méthodes inédites à l’époque, comme arrêter les compagnes des truands pour leur mettre la pression.
Le 21 Octobre 1981, alors qu’il roule à moto pour aller déjeuner avec son épouse et ses filles, il est dépassé sur le boulevard Michelet par une autre moto. La passager tire trois balles sur le juge Michel qui s’effondre, mort sur le coup (Une balle ayant sectionné la moelle épinière).
La moto des meurtriers est vite retrouvée et grâce à une empreinte, le voleur aussi. Proche de truands eux-mêmes proches de Gaëtan Zampa, ce dernier est soupçonné d’être le commanditaire. Mais faute de preuves, personne n’est inculpé. L’enquête piétine pendant 5 longues années. C’est finalement François Scapula – la balance la plus célèbre de la French Connection – arrêté pour trafic de drogue en suisse en 1986 qui va dénoncer les auteurs et commanditaires de l’assassinat du juge Michel. Ce sont quatre anciens complices à lui impliqués dans le trafic d’héroïne lors de la French Connection. Ils sont tous condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, deux d’entre eux, absents au procès par contumace. Parmi les deux absents, l’un a été attrapé à Chypre en 1993, l’autre a disparu depuis 1981.
Le film « La French » de Cédric Jiménez retrace librement la fin de la vie du juge Michel jusqu’à son assassinat.
Les affaires Luc Tangorre
Au début des années 80, une série de neuf viols et agressions sexuelles ont lieu à Marseille dans les 8ème et 9ème arrondissements. La police a peu d’indices pour trouver celui que l’on appelle « Le violeur des quartiers sud de Marseille ». Des policiers en patrouille arrêtent un individu correspondant au portrait-robot réalisé et au comportement suspect qui possède sur lui un couteau emballé. Il s’appelle Luc Tangorre. Il est emmené au commissariat où il est interrogé et présenté aux victimes derrière une glace sans tain. Certaines vont le reconnaître, d’autre pas. Les enquêteurs vont aussi retrouver une série d’indices compromettants lors de la perquisition chez lui. Tangorre nie les faits en bloc. Autour de lui, ses proches n’y croient pas. Gentil, attentionné, il ne peut être le violeur des quartiers sud. Il entame une grève de la faim et un comité de soutien composé d’intellectuels et d’Hommes politiques se forme autour de lui parmi lesquels on retrouve Marguerite Duras, Françoise Sagan, Gaston Deferre, Jean-Claude Gaudin, Dominique Baudis et l’historien Pierre Vidal-Naquet.
Malgré ce soutien médiatique et le fait qui qu’il soit défendu par Paul Lombard – ténor du barreau marseillais et avocat de Christian Ranucci – Tangorre est condamné à 15 ans de prison avec circonstances atténuantes. Son comité de soutien, toujours actif après son incarcération, obtiendra une grâce partielle du président François Mitterrand. Il sort de prison en 1988 en clamant qu’il veut se battre pour que son innocence soit officiellement reconnue.
Malheureusement huit mois plus tard, deux étudiantes américaines l’accusent de viol lors de la féria de Nîmes. Les preuves sont accablantes contre lui mais Luc Tangorre continue de nier les faits. Ce serait un complot destiné à l’empêcher de demander une révision du premier procès. Il écope cette fois-ci de 18 ans de réclusion criminelle. Le comité de soutien se fait étrangement plus discret, hormis Pierre Vidal-Naquet qui présente ses excuses dans une tribune publiée dans Le Monde.
Libéré en 2000, Tangorre se fait discret jusqu’en 2014 où il sera à nouveau mis en examen pour trois agressions sexuelles sur mineures. Fidèle à lui-même, il crie à l’erreur judiciaire. Le tribunal correctionnel de Nîmes le condamne en 2019 à trois ans et demi de prison ferme.