Loin du tumulte et de l’agitation de la vie parisienne, à Marseille on aime la sieste. La sieste est un art dont la maîtrise est corrélée, climat oblige, à la proximité géographique avec l’équateur terrestre. Et autant dire qu’en France, il n’y a guère que les antillais et les corses qui peuvent regarder les marseillais dans les yeux dans cette pratique. Alors voici un guide avec les bons plans, les astuces mais aussi les pièges à éviter dans l’exercice de ce que l’on appelle en Provence le « pénéquet ».
Que dit la science ?
Amateurs de sieste, sachez-le : la science est de votre côté. Ne vous laissez-pas impressionner par le start-upper Parisien ou Aixois qui viendrait s’enorgueillir de dormir 4 heures maximum par nuit parce qu’il est un vrai « workaholic ». Le sommeil est précieux et la pratique de la sieste apporte de nombreux bénéfices avec un gain de vigilance et de performance, d’après l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance. Pour peu que celle-ci se situe après le déjeuner et dure une vingtaine de minutes (on y reviendra), il faut le préciser.
N’ayez donc pas honte et mieux : revendiquez la sieste comme un outil de travail, vecteur de performance et de productivité.
Cette mise au point étant faite, passons maintenant en revue les divers accessoires liés à cette activité (si on peut dire).
Les accessoires
Le pyjama
Non. Pour qu’une sieste soit homologuée comme telle, le pyjama est proscrit. La sieste doit garder un coté sauvage, un peu brut. Au mieux vous pouvez tomber les chaussures, c’est autorisé depuis les accords de Bastia en 1985. Mais laissez tomber les trucs trop sophistiqués et encombrants comme les couettes, les plaids, les polochons etc. Restons donc un peu sérieux et laissons le pyjama aux usages auxquels il est destiné comme… dormir la nuit par exemple. Sans blague. Pourquoi pas se brosser les dents avant tant qu’on y est ?
Le téléphone
Croyez-le ou non mais votre téléphone portable sera votre meilleur allié dans l’accomplissement d’une sieste réussie. Pour cela, il suffit de respecter 3 règles :
- Ne pas oublier de le mettre en silencieux. Il n’y a rien de pire que d’être tiré d’un sommeil naissant par une notification qui vous apprendra qu’un random a ajouté du contenu à sa story.
- Programmer un réveil. Pour qui a déjà dépassé voire outrepassé les 30mn max réglementaires, vous savez de quoi je parle. Oublier de mettre un réveil c’est risquer de se réveiller 2 heures plus tard avec le cerveau à l’envers. Vous vous traînez en baillant sans rien faire jusqu’au moment de vous coucher où vous n’avez plus sommeil.
- Une fois la sonnerie coupée et le réveil activé, rangez le téléphone. Sinon vous serez bien dégoûté quand votre réveil sonnera alors que votre portable est toujours dans votre main et que nous n’avez rien retenu des 30 minutes de vidéos nazes qui viennent de défiler devant vos yeux.
La boisson
L’été, il est bien agréable d’upgrader sa sieste avec une boisson fraîche. Alors je vous vois venir : oui, le pastaga est autorisé à condition d’en boire UN. À chaque fly supplémentaire, on s’éloigne de la sieste et on s’approche du coma. Activité qui n’aura absolument pas les mêmes vertus reposantes pour le corps et l’esprit.
À part cela, moult boissons sont autorisées. Pour ma part je vous conseille le Gambetta-limonade mais pour pouvez faire votre choix dans notre guide des boissons marseillaises.
Les écouteurs/airpods.
Ils ne sont pas interdits par la Commission Européenne des Pratiquants de la Ronflette mais celle-ci recommande quand même dans son rapport de 2011 la sieste « A Capella », au chant des cigales. Néanmoins, les mélomanes peuvent accommoder leur somme de la musique de leur choix. Étant entendu que le métal et la techno hardcore sont moins propices au repos réparateur qu’un concerto pour 127 violons et clarinette en Ré mineur de Johann Heinrich Andreas von Barten. Quelque part entre les 2, je vous propose de piocher dans le riche et reposant répertoire du reggae Marseillais, avec Massilia sound System, Jo Corbeau, Raspigaous…
Par ailleurs, les écouteurs récents disposent d’une fonction « réduction des bruits extérieurs » qui peut s’avérer bien pratique pour se couper des minots qui mettent le oaï juste à côté ou du voisin qui a entrepris de percer tous ses murs aujourd’hui par exemple.
Les livres.
C’est un grand oui. D’abord parce que si par malheur vous ne trouvez pas le sommeil, vous n’aurez pas perdu les 30 minutes qui viennent de s’écouler. Ensuite parce que c’est l’occasion de se pencher sur le très abondant répertoire des auteurs marseillais. Vous pouvez avant de somnoler lire quelques chroniques sur le parler marseillais de Médéric Gasquet-Cyrus dans sa série Dites-le en Marseillais. Si vous voulez tout connaître sur le système politique de Marseille et sur les « quartiers shit », lancez-vous dans La fabrique du monstre de Philippe Pujol. Enfin, si vous aimez les romans, c’est l’occasion de relire la trilogie Fabio Montale de Jean-Claude Izzo ou d’ouvrir l’un des nombreux romans noirs de François Thomazeau.
Le chapeau
Il n’est pas obligatoire mais recommandé en extérieur depuis le Rapport Interministériel sur les Emballages Réutilisables et la Somnolence de 2017. D’abord parce que bien posé sur les yeux il vous donnera du style. Ensuite parce qu’il vous évitera de vous réveiller avec une figure de clafoutis, qui ne manquera pas de se transformer en crumble les jours suivants.
Dans cette quête de protection solaire, un bob 51, un panama, une casquette Titi et Gros Minet ou n’importe quel couvre-chef feront l’affaire.
Le coussin
Comme mentionné plus haut, il faut éviter les accessoires trop encombrants qui peuvent retirer son caractère rustique à la sieste. Cependant, il est bien agréable d’avoir la tête légèrement relevée quand on pionce. Heureusement, il existe une solution qui permet de résoudre ce paradoxe : le coussin de voyage ou coussin de nuque. Mieux : le coussin de nuque gonflable vous permettra, une fois les 30 minutes de repos acquises, de le vider de son air et de le replier afin de ne laisser aucune trace. Et surtout de ne pas avoir l’air de chercher sa tente au camping.
Le cas du hamac
Le hamac est un cas typique de ce que l’on appelle dans les milieux autorisés la « fausse bonne idée ». Vous ne me croyez pas ? Réalisez cette expérience : prenez autour de vous toutes les personnes qui ont acheté un hamac et divisez-le par le nombre de ces personnes chez qui il meurt en silence dans un placard. Sans surprise, vous obtenez 1.
D’abord le hamac n’a de sens que chez soi parce que personne veut trimballer ces 10kg de tissus et de cordages à moins d’avoir un sherpa. Maintenant, il faut 2 points de fixation à la bonne distance ! Comme ce n’est jamais le cas, vous vous retrouvez soit plié en 2, soit en équilibre très précaire avec des sangles qui traversent la moitié de votre jardin. Ensuite, il faut avoir très confiance en vos nœuds que vous avez reproduit approximativement depuis le tuto de Miguel le péruvien trouvé sur Youtube. Sinon c’est la fin pour votre coccyx. Enfin, vous allez passer une bonne partie de vos 30mn de sieste à essayer d’y entrer et l’autre à essayer d’en sortir. Surtout quand vos potes vous auront saucissonné dedans pour déconner.
Et ne venez pas me parler de hamac sur pied bande de tricheurs ! Vous voulez vraiment que votre sieste ait le goût de la trahison des ancêtres de Miguel ?
Exception où le hamac peut être utile : si il fait trop chaud pour travailler et que vous souhaitez faire tomber les citrons avec un coup de talon… vous avez la ref ?
La position
Je ne vais rien vous apprendre mais un rappel n’est jamais de trop : On ne fait pas la sieste sur le ventre, en position fœtale ou suspendu par les pieds à un système de poulies. La sieste se pratique allongé sur le dos. Pour siester avec tenue, merci d’avoir l’élégance de replier les mains sur le ventre.
Les jambes croisées sont à l’appréciation de l’usager.
Mais où faire la sieste ?
À la maison
Confort : 💤💤💤
Danger :🥊
Aviez-vous vraiment besoin de mes conseils pour savoir que vous pouvez faire la sieste chez vous ? Une précision tout de même : après une minutieuse étude climatique et topologique, la priorité est évidemment de pratiquer à l’extérieur. Si vous n’en avez pas ou si la météo ne le permet pas, le canap’ ou un fauteuil confortable feront l’affaire. Le lit en dernier recours, si vraiment on a pas le choix.
Si elle n’est pas désagréable, la sieste chez soi a quelque chose de décevant, prévisible et conventionnel. Un peu comme coucher avec son(sa) propre conjoint(e). Passons donc en revue une liste non exhaustive de lieux où s’adonner à la sieste et voyons si ils sont propices ou non à une bonne expérience.
Sur la plage
Confort : 💤💤💤
Danger :🥊🥊
Si vous avez la chance d’avoir la mer à proximité, la plage fait très certainement partie des meilleurs spots pour faire la sieste. Principalement grâce au son des vagues : un délice pour sombrer lentement. Si le spot est bon, il n’est pas dénué de risques : être réveillé par un ballon dans la tronche, une projection de sable ou un jacky au téléphone vous gâchera le plaisir. Mais le jeu en vaut la chandelle.
Si vous êtes contorsionniste et/ou avez un bon kiné, la sieste sur les rochers vous préservera partiellement de ces aléas.
Dans un parc
Confort : 💤💤
Danger :🥊
Si vous n’avez pas la mer à proximité, il y a probablement un parc pas très loin de chez vous qui fera un excellent pis-aller. Attention tout de même, le risque de se faire réveiller par des léchouilles de labrador suivies d’un : « Simba ! Simba ! Désolé il est pas méchant ! » n’est pas nul.
Au travail
Confort : 💤
Danger :🥊🥊🥊
Évidemment tout dépend du type de travail dont on parle. Si vous êtes pilote d’engin transportant des matières mortelles et explosives, la question ne se pose pas. Si vous travaillez dans des bureaux, il y a 2 cas de figure possibles : soit vous avez votre propre bureau et dans ce cas, il suffit de s’enfermer après avoir demandé à Martine de ne pas être dérangé car vous avez un call important avec Hong Kong. Soit, et c’est le plus probable il va falloir développer de vraies méthodes de ninja pour ne pas se faire griller. Votre meilleure chance est encore de partager cet article avec toute la boite en mode « lolilol » en espérant que le patron tombe dessus et qu’il fasse aménager une pièce de repos avec des canap’s. Ça se tente.
Dans la voiture
Confort : 💤💤
Danger :🥊
La voiture est un très bon spot pour la sieste. Il vous suffit de baisser le dossier du siège et vous bénéficierez d’un confort et d’une tranquillité relatifs au prix d’achat du véhicule. Ne pas oublier d’entrouvrir une fenêtre l’été quand même histoire de ne pas se réveiller en sueur et en manque d’oxygène. Et puisqu’on en est aux dangers potentiels, dois-je vraiment préciser que pour éviter que la sieste en voiture ne se transforme en repos éternel elle se pratique à l’arrêt ?
Petit plus : ça fonctionne même si la bagnole est en panne.
Dans les transports en commun
Confort : 💤
Danger :🥊🥊🥊
Si vous ne possédez pas de voiture, vous avez l’option bus ou métro. Le risque, c’est de se réveiller dans un endroit qu’on ne connaît pas. Astuce : descendez là où vous vous réveillez et prenez le temps de découvrir un nouveau quartier ! Mais vérifiez quand même que vous êtes toujours en possession de vos téléphone et portefeuille quand même.
Au cinéma
Confort : 💤💤
Danger :🥊
De deux choses l’une : soit vous allez voir un film qui vous plait : vous ne comprendrez plus rien au réveil et vous passerez le reste du film à vous demander pourquoi il est si important ce Keyser Söze. Soit vous choisissez volontairement une merguez et au réveil il vous restera encore une heure à supporter la bande à Fifi. Dans tous les cas vous aurez dépensé quasiment 15 balles.
Retenons en tout cas cet axiome empreint de sagesse : le cinéma c’est bien pour aller voir des films.
Au rayon literie d’Ikea
Confort : 💤💤💤
Danger :🥊🥊🥊
C’est gonflé mais ça peut passer si vous tentez la sieste flash, 10 minutes max. Au-delà vous serez sûrement réveillé par un monsieur avec une chemise jaune qui vous demandera « je peux vous aider ? » Normal. Si tout le monde faisait comme vous ça deviendrait quoi, Ikea ? Un bar à sieste ?
Le bar à sieste
🤦♂️
Non mais vous êtes sérieux ?
Au musée
Confort : 💤
Danger :🥊🥊🥊
Il n’y a qu’un musée où ça peut marcher : le musée d’art contemporain. Mais il va falloir la jouer fine. Dirigez-vous vers une salle au fond et allongez vous entre l’ampoule qui flotte dans un aquarium d’Orangina (qui au passage dénonce fort bien les excès du capitalisme) et l’installation vidéo qui projette des images de vidéosurveillance d’une épicerie Moldave à Reykjavik sur une toile recouverte de coquillages, qui nous interroge sur le temps long. Ensuite, placez à côté de vous un petit carré de papier que vous aurez préparé au préalable sur lequel est écrit : La Chute – Performance – Miloš Blahoslav (N’oubliez pas l’accent sur le š de Miloš pour ne pas vous faire cramer). Qui oserait prendre le risque d’intervenir sur l’oeuvre d’un génie visionnaire ? Normalement vous devriez disposer de tout le temps nécessaire pour accomplir votre kief bien mérité.
Voilà vous savez tout sur l’art de la sieste à Marseille. Si vous êtes arrivé jusque là et que vous avez souri voire apprécié l’article, n’hésitez pas à le dire en commentaire et à le partager sur les réseaux. Quant à moi, je vais mettre un peu la théorie en pratique.
